GRAY (T.)

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GRAY THOMAS (1716-1771)

Solitaire et mélancolique, grand admirateur de la nature «sauvage», Thomas Gray, l’un des grands noms de la poésie anglaise du XVIIIe siècle, manifesta aussi un intérêt profond pour les littératures celtique et nordique, se faisant ainsi le héraut de ce qui allait être la sensibilité romantique.

Né le 26 décembre 1716 à Londres, Gray fut le seul enfant survivant d’un courtier prospère, homme violent et difficile. Protégé par sa mère, délicat, introverti et studieux, Gray quitta son milieu familial en 1725. Il fut envoyé à Eton où il se lia d’amitié avec Horace Walpole, fils du Premier ministre, et avec Richard West qui partageait son goût pour la poésie. Ses années à Eton furent sans doute parmi les plus heureuses de sa vie. Il les évoqua, d’ailleurs, non sans les mythifier, dans son Ode sur une perspective lointaine du collège d’Eton (1747). En 1734, il se rendit à Cambridge où il étudia l’italien, les poésies française et anglaise ainsi que les auteurs classiques. Ses premiers poèmes furent même écrits en latin. En mars 1739, suivant la tradition du «Grand Tour», voyage européen obligé des jeunes gens bien nés, il partit avec Walpole, et aux frais de celui-ci, pour la France où il s’enthousiasma pour le monastère de la Grande-Chartreuse et la beauté sublime des paysages alpins, le sublime et le terrifiant devenant la clé de voûte de l’esthétique nouvelle. Sa découverte des Alpes, avec ses précipices et ses torrents qu’il décrit dans une lettre à West comme des lieux «imprégnés de religion et de poésie», allait être déterminante dans le mûrissement d’une conception de la nature chère aux romantiques, moins fondée sur l’apaisement que sur l’émotion. De retour à Londres, Gray commença une tragédie, Agrippine , imitation inachevée et injouable du Britannicus de Racine qu’il avait vu représenter à Paris. Il écrivit aussi l’Ode au printemps , son premier poème important en langue anglaise, méditation souvent ironique sur le choix de vie nécessaire entre action et contemplation. Le poète n’apporte pourtant pas de réponse et se contente d’indiquer, annonçant ainsi l’Élégie , que la mort sera le lot de tous.

La mort de West, en 1742, plongea Gray dans le désespoir. Il écrivit néanmoins à cette occasion un sonnet très mélodieux dont les images stéréotypées n’ôtent rien à l’expression émouvante de la détresse du poète. Gray devait ne pas se départir de son pessimisme, voire de sa mélancolie, dans l’Ode sur le collège d’Eton , comme l’atteste l’épigraphe de ce poème, empruntée à Ménandre: «Je suis homme, ce qui suffit pour être malheureux.» Pourtant, avec l’Ode sur l’adversité , écrite à la même époque, l’attitude de Gray se modifie légèrement. Si la souffrance liée à l’écoulement du temps n’est pas niée, elle est néanmoins considérée avec plus de sérénité comme un lieu d’apprentissage bénéfique pour l’individu dans la conscience de soi.

C’est cependant l’Élégie écrite dans un cimetière de campagne (1751), dont Samuel Johnson disait que c’était un miroir dans lequel chacun pouvait se reconnaître, qui rendit Gray immédiatement célèbre. Ce poème de facture classique, méditation sur la tombe des humbles, est une réflexion sur la mortalité de l’homme. Si le sujet n’est pas nouveau, le poème échappe néanmoins puissamment aux stéréotypes: point ici d’atmosphère pastorale lénifiante, les pauvres ne sont pas meilleurs que les riches, ils n’ont simplement pas su satisfaire des ambitions qui auraient pu être aussi bien bénéfiques pour l’humanité que criminelles. L’Élégie tire sa force de son universalité — il s’agit de la mort des autres et de celle du poète lui-même, à la fois conscience unique et souffrante et homme parmi les hommes — et de son immense musicalité qui en font une œuvre d’exception.

Auteur d’un charmant poème héroï-comique, l’Ode sur la mort d’un chat favori , Gray composa en 1757 deux odes pindariques, La Poésie et Le Barde . Dans Le Barde s’exprime l’idée que l’art, même persécuté, engendre à son tour la liberté qui l’avait engendré. Ces œuvres, parfois obscures, furent accueillies avec réticence. Passionné par les poésies celtique et scandinave, et auteur de traductions, Gray affirma avec force son intérêt, annonciateur du romantisme, pour le monde «barbare» et le folklore qui commençaient à éclipser les dieux grecs et romains. Ses dernières œuvres n’ayant pas reçu l’accueil triomphant de l’Élégie , il passa les dernières années de sa vie à Cambridge dans une grande solitude simplement éclairée par l’amitié passionnelle et ambiguë qu’il conçut pour un jeune aristocrate suisse, Victor de Bonstetten. Il mourut à l’âge de cinquante-cinq ans, le 30 juillet 1771, et fut enterré à Stoke Poges aux côtés de sa mère, dans le cimetière qu’il avait célébré dans son poème.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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